Depuis quelques semaines, nous sommes tous confrontés à l'ennui d'une manière ou l'autre. L'ennui d'être privés de nos occupations habituelles, l'ennui de ne pas réussir à se concentrer sur nos tâches, l'ennui de voir notre vie sociale suspendue.
Pour reprendre les paroles d'un groupe de musique bien connu : "Cloué sur un banc, rien d'autre à faire – on est ces maîtres carrés, qui tournent en rond dans l'hexagone" IAM
L'ennui peut avoir diverses définitions :
Psychologique : il est souvent ressenti comme une émotion désagréable
Neurocognitive : lorsqu'on ne fait rien, quelle activité neuronale pour le cerveau ?
Mais aussi clinique, philosophique, poétique…
Mais surtout, l'ennui est un vécu, un ressenti très subjectif propre à chacun d'entre nous.
Il peut faire émerger différents sentiments : le manque, la solitude, le désarroi, le désintérêt, la démotivation, l'irritation...
En 1751, Diderot et D'Alembert disaient de l'ennui qu'il s'agit d'un "espèce de déplaisir qu’on ne saurait définir : ce n’est ni chagrin, ni tristesse ; en un mot l’ennui est un mal si singulier, si cruel, que l’homme entreprend souvent les travaux les plus pénibles, afin de s’épargner la peine d’en être tourmenté. »
Nous cherchons donc à éviter ce sentiment autant que possible.
Depuis plusieurs années, l'essor des mondes numériques modifie notre comportement. Nous consacrons plus de temps aux écrans, sommes connectés à internet pratiquement toute la journée : smartphone, tablette, ordinateur, console, tv, etc.
En plus de cela, ces dernières semaines confinés à la maison, vous avez peut-être trié, rangé, nettoyé votre appartement de manière minutieuse ? Vous avez multiplié les apéros-skype ? Testé des recettes de cuisines par dizaines ? Entrepris des cours de yoga, zumba, cuisine, japonais en ligne ? Autrement dit, vous avez probablement cherché à meubler l'ennui.
Selon moi, cette allergie au vide reflète quatre éléments dont nous sommes aujourd'hui plus ou moins conscients :
1. Un besoin vital d'être relié au reste du monde
Un trajet de 10min en bus ? Nous écrivons à quelqu'un depuis notre smartphone. Un mois de confinement à domicile pour éviter la propagation du coronavirus ? Nous multiplions les cours collectifs en ligne, les jeux en réseau, les rencontres par vidéoconférence, les activités simultanées depuis les balcons. Nous avons besoin de nous sentir faire partie d'un tout, de se créer des repères sociaux.
2. Une constante attente de productivité
L'ennui est souvent décrit en termes de déficit d'activité et de productivité : "Un état aversif de vouloir mais de ne pas pouvoir s’engager dans une activité satisfaisante", selon John Eastwood, professeur à l'Université de New-York. Si l'ennui est vécu de manière péjorative aujourd'hui, c'est aussi parce qu'il est incompatible avec certaines valeurs actuelles qui sont la vitesse, la performance. Le temps libre doit être consacré à une activité rentable sur le plan de la santé, de la culture, de l'éducation.
3. Une peur de se confronter à soi-même
Une soirée de libre ? On se précipite sur la télécommande de la télévision ou de la play-station. Un weekend sans activités de prévues ? C'est du temps perdu. L'ennui est un moment où l'on se retrouve avec soi-même, sans distraction ou stimulation externe. Confronté à être seul, ou seul avec soi-même, ce n'est pas toujours agréable. Cependant, c'est également un moment où l'on peut s'enrichir de soi-même, apprendre à mieux se connaitre, s'accepter et de là : construire son propre bonheur.
4. Une pression à être toujours disponible
Cette course à la performance et à la réalisation individuelle s'accompagne également du fait qu'être très demandé, très sollicité, est souvent interprété comme un symbole d'importance et d'utilité dans la société.
Dans un monde ultra-connecté, nous sommes sans cesse interrompus dans nos activités par un message, un email, un téléphone, nous zappons d'une occupation à l'autre, multipliant les fenêtres ouvertes sur notre ordinateur. Sans chercher à s'entendre soi, les stimulis sensortiels externes rythment nos journées : des sons, des images, des odeurs viennent détourner notre attention.
Parfois, cette société sur-active nous épuise et nous cherchons à nous retrouver, à faire le vide de manière ciblée par des retraites spirituelles, des activités méditatives.
Mais souvent, nous nous habituons à cette mutlitude de stimulis externes,
si bien que notre cerveau ne sait plus faire des efforts de manière autonome pour maintenir son attention sur quelque chose.
Et là, c'est l'ennui.
Dans un prochain article, nous allons approfondir la relation entre l'ennui et la capacité d'attention, afin de comprendre pourquoi on s'ennuie, et surtout comment bien s'ennuyer !
A bientôt,
Mireille Régis
Fondatrice de Walk2Talk
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